Rencontre avec Gabriel Ringlet : extraits de réponses à des questions.

 

Ø      Comment faire entendre une parole forte dans le respect de l’autre ?

   Lorsqu’on est conduit par une parole qui bouleverse notre existence, la tentation est grande d’imposer cette parole … Nous sommes au cœur de la transmission de la foi du témoignage. « Lorsqu’on est habité d’un grand amour, d’une grande tendresse, moins il faut en parler trop, écrit Sulivan ». Tant mieux si une parole évangélique nous a percutés, mais raison de plus pour la délivrer de manière évocante plutôt que confessante.

   Eviter la confusion des lieux : J’accorde un grande importance à la liturgie : il n’est pas possible de mener une vie politique qui prétend changer la société si on ne ressaisit pas sa vie sur le mode de la célébration. J’ai besoin de célébration comme de pain et c’est valable pour tout homme (célébrer des moments de passage par de la musique, de la lumière, un parole poétique). Autant le moment de la parole poétique, du recul de la liturgie me paraissent vitaux –type de Parole où je peux confesser ma foi-, autant quand je suis dans l’espace public, dans la vie de voisinage, de loisirs, je ne peux qu’évoquer ce qui m’habite secrètement. Tant qu’on ne rencontre pas cette question en profondeur, il y a maldonne sur ce qu’on appelle témoigner.

 

Ø      La démocratie dans l’Eglise ?

   Les choses ne changeront que si dans des groupes, des paroisses, des gens se mettent très concrètement à exercer la démocratie autrement. Hélas, les freins existent localement, sinon plus que dans les « sommets ».

   Sur le problème du rôle de la femme dans l’Eglise, les choses changeront au sommet, le jour où les prêtres à la base, pas seulement de manière volontariste, mais intérieure, convaincue, auront, à l’égard de la femme, une habitude toute naturelle, sans arrière-pensée

   Une partie du problème de la démocratisation se trouve certainement à la base …

 

Ø      Des perspectives en opposition dans l’Eglise : Opus Dei et théologies de la libération, «Unus Jesus » et dialogue inter-religieux, Pie IX et Jean XXIII ...

   Demain il ne sera plus possible, sous prétexte d’une fausse unité, de célébrer à la fois

Pie IX et Jean XXIII. Dans une émission récente d’ Euro-news, un journaliste disait que ce double visage – Pie IX et Jean XXIII – se trouvait aujourd’hui dans la personnalité de Jean-Paul II et que l’analyse de son pontificat  montrait cette double facette. Analyse intéressante, mais cela va devenir intenable ; il faudra choisir : Pie IX ou Jean XXIII.

   Bien des courants de pensée sont confrontés aujourd’hui à la même problématique sur la question du dialogue (ouverture et fondamentalisme chez les Protestants, division dans les philosophies laïques). La frontière s’est déplacée : d’un côté de la barrière, des « laïques », des catholiques, des protestants … qui ont un type de sensibilité « Jean XXIII », de l’autre des « laïques », des catholiques, des protestants … qui ont un type de sensibilité « Pie IX ».

Plutôt que de procéder à des réconciliations faciles, à un moment donné, il serait bon d’expliciter cette fracture publiquement, à condition que l’on mesure à quel point, le fait de se retrouver dans un camp plus que dans l’autre peut être lié à des éléments historiques accidentels ( ex. il y a 40 ans, des personnes exclues de cimetière à cause de divorce ou suicide dans la famille à des blessures non fermées).

 

Ø      Humanae vitae ? Que dire aux jeunes par rapport à la morale sexuelle enseignée par l’ Eglise ?

   Savoir que le texte Humanae vitae a été imposé par une petite majorité de 51% contre 49%. Il s’en est fallu de peu pour que la perspective ouverte triomphe ! que des Conférences Episcopales ont publié un contre-texte rappelant à tous, que sur cette question plus que sur toute autre, c’est la liberté de conscience qui compte (ex. la Conférence épiscopale des évêques belges).

   Dans l’Eglise orthodoxe, pourtant plus conservatrice que l’Eglise catholique, la position officielle, rapportée par Olivier Clément, est la suivante : que le couple qui est confronté à une question éthique difficile aille voir un grand spirituel et la décision qu’ils prendront à trois dans le secret, c’est celle-là que ratifiera l’Eglise. Voilà donc une Eglise sœur très proche, dont la position fait infiniment confiance à la liberté de l’homme.

 

   Croire au dialogue œcuménique et ne pas se décourager même devant « Dominus Jesus », si nous voulons qu’envers et contre tout ce dialogue continue ! Il nous fera progresser :

-          avec l’Eglise anglicane, sur le problème de l’ordination ;

-          avec l’Eglise orthodoxe, dans le domaine de la morale ;

-          avec les Protestants, quant à l’autonomie de jugement, quant à la bonne relation entre le pouvoir politique et le spirituel.

 

Ø      Pouvons-nous, nous chrétiens, organiser nos communautés, créer nos liturgies, sans les prêtres, en dehors de la liturgie romaine ?

   Ce qui me fait le plus peur dans l’existence, et plus que le poids des hiérarchies, c’est lorsqu’on se retrouve entre « purs » : sommet des sommets des exclusions ! C’est une tentation terrible. On élève des murs infranchissables. Exemple de groupes belges qui se sont autoproclamés prêtres. Le garde-fou que je pose devant ces murs : quelle garantie se donne-t-on que l’on ne parle pas simplement en son propre nom ?

   Ma réponse serait : « Qui t’a fait roi ? »

   Pour célébrer dans la vérité, il faut savoir inventer, prendre des responsabilités. Un exemple, pour éviter une célébration du sacrement des malades par un prêtre parachuté : une équipe, dont le prêtre, est présente dans la chambre du malade. La laïque, de l’aumônerie, préside la célébration ; à un moment, un geste, l’onction de l’huile, sera fait par le prêtre, d’autres gestes seront posés par d’autres membres. Tout le monde a compris que l’officiant principal était l’aumônière. Nous restons dans la communion, nous n’allons pas vers la dérive sectaire, et, en même temps nous posons un geste très fort. Ces gestes-là, un jour, abattront des murs.

 

Ø      Quelle vie vaut la peine d’être vécue ?

   Si nous ne sommes pas témoins d’un sens parlant aux plus jeunes générations, il est normal qu’elles nous tournent le dos. Exemple tragique d’un jeune paroissien qui s’était pendu en ayant laissé ce mot : « je n’ai pas les armes qu’il faut aujourd’hui, je ne suis pas capable de me battre selon les lois du marché. Adieu la compagnie ! »

   Nous sommes tous confrontés à cette question …

   J’ai une énorme admiration pour les gens qui, là où ils sont, dans les circonstances les plus enfermantes, à partir d’un grain de sable, basculent et donnent à leur vie, à leur entourage, un sens qui ne semblait plus présent. Une vie vaut la peine d’être vécue, lorsqu’un témoin, là où il est, au cœur de la plus terrible ambiguïté, est capable, dans cet enfermement, de faire entendre une parole. Qu’au cœur de ce tragique de l’existence, nous sachions donner un sens à ce qui nous arrive !

 

Ø      L’après-mort ?

   Une question très contemporaine que Jésus et ses disciples ne se posaient pas en ces termes. La question des disciples après cette mort scandaleuse sur la croix, était simple : cet amour qu’il nous a annoncé, cet engagement dans lequel il nous a entraînés, ont-ils un avenir ? Cette question va déboucher petit à petit sur l’idée de Résurrection. Pour Jésus, comme pour ses disciples, la vraie question est celle du Jugement dernier. Le verre d’eau  que je partage au plus petit d’entre les miens, est-ce que cela ouvre un avenir ? Mais ils ne se posaient pas la question de leur devenir personnel.

   Le patriarche Athenagoras disait : ce n’est pas notre résurrection personnelle qui compte, notre au-delà personnel. Dans chacune de nos résurrections personnelles, c’est la transfiguration du monde qui est en jeu. La Parole d’Evangile que Jésus nous livre, c’est une Parole qui nous invite chacune, chacun, là où nous sommes, à transfigurer le monde. Nous ne devons jamais oublier cette formidable dimension collective que nous propose l’ Evangile.